Professeur Marius TONTASSE : “La décentralisation ne se décrète pas, elle se construit avec les citoyens”

Entretien avec le conférencier principal de la tournée sur la Décentralisation et la Gouvernance Participative dans la préfecture d’Agoè-Nyivé
À l’issue de la grande tournée de sensibilisation sur la décentralisation et la gouvernance participative menée dans les six communes de la préfecture d’Agoè-Nyivé, notre rédaction a rencontré le Professeur Marius Essohana TONTASSE. Juriste de droit public, Enseignant-Chercheur à la Faculté de Droit de l’Université de Lomé, consultant et personne ressource auprès du Haut-Commissariat à la Consolidation de la Réconciliation et de l’Unité Nationale (HCCRUN), il a animé toutes les sessions en qualité de conférencier principal. Dans cet entretien, il revient sur les enjeux de cette mission, les réactions citoyennes et l’avenir de la gouvernance participative à la lumière de la cinquième Constitution de la République Togolaise.
- Professeur, quel a été votre principal objectif en animant cette tournée autour du thème “Décentralisation et Gouvernance Participative” dans les six communes d’Agoè-Nyivé ?
L’objectif premier était de vulgariser les concepts de la décentralisation et de la gouvernance participative afin qu’ils soient compris, acceptés et pratiqués par les citoyens eux-mêmes. Il ne s’agit pas simplement de notions administratives, mais de mécanismes fondamentaux qui donnent aux populations locales le pouvoir de contribuer activement au développement de leur territoire. À travers cette tournée, nous avons voulu démystifier le rôle des collectivités territoriales et sensibiliser sur les droits et devoirs des citoyens dans ce processus.
- Comment les principes de la décentralisation s’articulent-ils avec les grandes orientations de la Constitution de la Ve République, notamment dans le cadre du régime parlementaire nouvellement adopté au Togo ?
La Constitution de la 5ᵉ République instaure un régime parlementaire, caractérisé par une séparation souple des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Dans le contexte de la décentralisation, ce régime apparaît comme un levier de renforcement du processus, notamment à travers l’institution d’une seconde chambre : le Sénat.
Le Sénat, en effet, est l’émanation des collectivités territoriales. Une partie de ses membres est élue par ces dernières, tandis que l’autre est nommée discrétionnairement par le Président de la République. Ce mode de désignation confère au Sénat une double légitimité : institutionnelle et territoriale.
Ainsi, la représentation des collectivités territoriales au sein du système politique national est assurée, aux côtés de l’Assemblée nationale, par une chambre haute qui porte la voix des entités locales et, à travers elles, celle des populations à la base. Ce dispositif consacre une décentralisation renforcée, en donnant aux territoires une place active dans le processus décisionnel.
Il s’agit d’un mécanisme généreux et inclusif qui favorise la redevabilité des gouvernants, la reddition des comptes, et assure une implication effective des citoyens dans la gouvernance locale. En ce sens, la 5ᵉ République apparaît comme un tournant important dans l’enracinement de la démocratie de proximité.
- Quelles ont été les réactions les plus marquantes du public face aux notions parfois techniques de la gouvernance locale ?
J’ai été agréablement surpris par la qualité des échanges. Les populations ont montré une vraie soif de compréhension. Certaines notions comme la redevabilité, le budget participatif ou le contrôle citoyen ont suscité de nombreuses questions. Mais ce sont aussi les cas concrets qui ont provoqué le plus d’intérêt : comment signaler un dysfonctionnement, comment proposer un projet communautaire, ou comment s’assurer que les élus locaux restent à l’écoute. Cela prouve que la population ne veut plus rester passive ,elle veut comprendre pour agir.
- Avez-vous noté des attentes ou des sensibilités différentes selon les communes visitées durant la tournée ?
Oui, chaque commune a sa propre réalité sociale, économique et même culturelle. Dans certaines, les attentes portent sur l’amélioration des services sociaux de base, dans d’autres, c’est la transparence dans la gestion des ressources locales qui domine les préoccupations. Mais il y a un point commun : le besoin d’être écouté. La gouvernance participative ne peut réussir que si l’écoute devient une habitude dans l’action publique. Cela, les populations l’ont exprimé avec beaucoup de clarté.
- En tant qu’expert, quelles recommandations adressez-vous aux élus locaux et aux citoyens pour renforcer une gouvernance réellement participative à l’échelle locale ?
Aux élus locaux, je recommande de développer des outils simples mais réguliers de concertation : Bureau du citoyen, forums citoyens, consultations publiques, rencontres de reddition de comptes. Cela crée la confiance. Aux citoyens, je dirais que la participation commence par l’information. Il faut s’informer, poser des questions, proposer, suivre les projets communautaires. Une démocratie locale forte repose sur une population active et des dirigeants à l’écoute. C’est ensemble qu’ils peuvent faire vivre la décentralisation.
Mot de fin du conférencier
« Je tiens à saluer l’enthousiasme, l’ouverture et la participation active des communautés rencontrées au cours de cette tournée. Leur engagement témoigne d’une volonté réelle de prendre part au devenir de leurs territoires. Je remercie sincèrement l’autorité préfectorale pour la confiance placée en ma modeste personne pour animer ces échanges autour d’un thème aussi crucial, surtout à l’orée des prochaines élections municipales. Il est plus que jamais essentiel que chaque citoyen comprenne que la décentralisation est un levier de transformation locale, mais aussi un devoir collectif de vigilance, de contribution et de responsabilité. »
Pour la rédaction. JA
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